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Emmanuel Ronot, directeur de l'Epnak

"Cette crise nous montre qu'un autre accompagnement médico-social est possible"

Établissement public, l'Epnak négocie sa feuille de route avec le secrétariat d'État en charge des Personnes handicapées. Engagé dans la transformation de l'offre médico-sociale, Emmanuel Ronot estime que la crise sanitaire va rebattre les cartes.

Hospimedia : "Comment l'Établissement public national Antoine-Koenigswarter (Epnak) s'est organisé pour assurer la continuité du suivi pendant le confinement ?

Emmanuel Ronot : Nous avons démarré notre cellule de crise le 10 mars au niveau national puis nous l'avons déclinée dans nos territoires. Au national, notre rôle consiste à balayer toutes les instructions, les digérer pour faciliter le travail des unités de crise des établissements gestionnaires. Les premières semaines nous nous sommes focalisés sur les moyens : création de numéros d'appel, transferts de moyens humains de certains services vers les internats maintenus et gestions des stocks des équipements de protection individuels... Pour le suivi à distance, nous travaillons par échanges téléphoniques, mails, visioconférences, chats, Whatsapp et autres systèmes d'échanges que les équipes ont développés. Nous avons également fait le choix, dès le départ, de maintenir voire de mettre en place pour les enfants qui sont habituellement scolarisés en institut médico-éducatif (IME) des interventions à domicile. Nous pratiquons des relayages de quelques heures pour permettre aux familles de souffler. Nous avons également organisé très vite des accueils collectifs pour une vingtaine d'enfants aux problématiques complexes dans l'Yonne et l'Essonne. Certains y resteront jusque la fin du confinement, pour d'autres il s'agit d'un accueil temporaire ou à temps partiel. À la demande du conseil départemental de l'Yonne, nous allons également rouvrir un IME pour y accueillir, avec des personnels des deux structures, une unité de vie du foyer de l'enfance.

H. : Que vous inspire cette organisation nouvelle sur l'évolution de l'intervention médico-sociale ?

E. R : La crise que nous traversons actuellement bouleverse et transforme en temps réel l'offre médico-sociale. Tout d'abord, elle renforce la nécessité absolue de concentrer des moyens importants au plan médico-social, structurel et humain, sur les populations les plus fragiles et dépendantes. Cela se fait concrètement en allégeant les moyens dévolus jusqu'alors aux personnes handicapées plus autonomes pour les rendre disponibles à des problématiques nécessitant un accueil et une protection. Dans le contexte de rationalisation des moyens de ces dix dernières années, la crise nous oblige, en tant qu'organisme gestionnaire, à prendre ce type de décisions en urgence.

Nous en avions déjà conscience mais cette situation montre de façon acc
élérée, que les laissés-pour-compte, les sans-solutions (handicaps non pris en charge, handicaps et troubles importants associés, handicaps et problématiques sociales importantes...) sont bien présents dans la société et se manifestent à nous avec encore plus de force, avec des besoins encore plus criants. Cette crise nous montre qu'un autre accompagnement médico-social est possible, que d'autres pratiques professionnelles — qui s'inspirent des services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) et autres services à domicile — sont possibles. Par exemple, l'accueil en IME peut être remplacé, partiellement, et avec une scolarité plus inclusive, par un accompagnement hors les murs. L'urgence nous y a obligés et nous savons maintenant que c'est possible puisque nous l'avons fait. Pour continuer, il faudra que tout le monde joue le jeu à la sortie du confinement, y compris l'Éducation nationale.
La crise renforce la nécessité absolue de concentrer des moyens importants au plan médico-social, structurel et humain, sur les populations les plus fragiles et dépendantes.

H. : Pensez-vous que cette crise va accélérer la transformation de l'offre ?

E. R : J'en suis persuadé. Lors de la dernière Conférence nationale du handicap, la volonté partagée par tous était de conduire une politique nationale qui se décline jusqu'au plus près des personnes, passant de l'accueil en établissement systématique à la mise en place de plateformes d'intervention et d'accompagnement médico-social. Mais et c'est une douleur collective, cette transformation est trop lente. Ce maudit virus accélère le mouvement. Les organismes gestionnaires n'ont pas attendu la pandémie pour évoluer et pour proposer ce qu'ils ont réussi à mettre en place en urgence en s'appuyant sur les évolutions récentes et sur les pratiques innovantes préexistantes. Ainsi, par exemple, nous étions en train de tester la transformation de notre offre de formation des centres de réadaptation professionnelle (CRP) en formation ouverte et à distance (FOAD). Depuis mi-mars, nous sommes passés à la généralisation. Mais il y aura un avant et un après Covid-19. La crise ayant permis de dépasser les difficultés à généraliser ces modes d'accompagnement et de démontrer un éventail de possibilités.

La réadaptation professionnelle en FOAD

Aujourd'hui à l'Epnak, quasiment toutes les sections de formation utilisent des outils à distance : visio, échanges de documents, stockage de fichiers, chat... Un outil développé par l'Epnak Sud-Ouest, le chat room privé, permet la mise en place de sessions de formation en direct et en temps réel. C'est une sorte de classe virtuelle très interactive. Les stagiaires communiquent pendant le temps de la formation avec le formateur et entre eux. En Bretagne et en Normandie, l'Epnak expérimente une application mobile, utilisable sur smartphone et ordinateur, développée par la junior entreprise de l'Institut national des sciences appliquées (Insa) de Rennes (Ille-et-Vilaine).

Au-delà de la création d'un lien social à distance avec l'usager, cette application permet de tracer l'ensemble des actions mises en place par les professionnels dans le cadre du projet personnalisé. "Du point de vue pédagogique, ça fonctionne mais il reste deux écueils, note toutefois Emmanuel Ronot. La problématique de la garde d'enfants et les problèmes psychiques dans cette période d'isolement anxiogène qui commencent à être très handicapants pour certains stagiaires au bout de quatre semaines. Nous intervenons à domicile quand le besoin s'en fait sentir et nous passons le relais aux services psychiatriques si nécessaire."

Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la période de la création des Sessad. Ces services issus des IME ont suscité beaucoup de débats notamment sur la question de l'identité professionnelle des intervenants. Nous avons ces mêmes questionnements aujourd'hui sur la création des plateformes. Les professionnels quittent la relation jusque-là très centrée sur l'usager en tant qu'individu pour prendre en compte de nouveaux paramètres : travailler dans l'intimité des familles, jouer un rôle de passeur auprès des parents, tenir compte de la problématique sociale, de celle du logement... Nous avons eu ces débats les deux premières semaines du confinement et nous ne les avons déjà plus aujourd'hui. La transformation de la pratique professionnelle semble intégrée et acceptée.
Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la période de la création des Sessad. Ces services issus des IME ont suscité beaucoup de débats notamment sur la question de l'identité professionnelle des intervenants. Nous avons ces mêmes questionnements aujourd'hui sur la création des plateformes.
Enfin, cette pandémie apparue dans une économie mondialisée qui n'a pas anticipé son apparition nous montre le manque de coordination de l'Europe, la fragilité de l'État et de ses relais et la grande difficulté des organismes gestionnaires pour y faire face. De ce drame, de ce trop grand nombre de morts, nous apprendrons collectivement, comme nous avons appris de la canicule en 2003 : comment mieux protéger la population, comment mieux protéger et accompagner les plus vulnérables, comment s'appuyer sur les potentiels des uns pour mieux aider les autres... Pour dessiner ensemble, avec les personnes handicapées, l'intervention médico-sociale de demain."

Propos recueillis par Emmanuelle Deleplace

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