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Interviews


Dr Gérald Choukroun, président de la CME de l'Hôpital Forcilles

"C'est très impressionnant : les patients sont épuisés et plus stressés que d'habitude"

Dans le giron de la fondation Cognacq-Jay en Seine-et-Marne, l'Hôpital Forcilles accueille l'un des trois services de réadaptation post-réanimation francilien à orientation respiratoire. En 2e ligne face au Covid-19, le Dr Gérald Choukroun, à la tête du service et de la CME*, témoigne de patients psychologiquement très fragilisés.

Hospimedia : "Votre service de réadaptation post-réanimation (SRPR), l'un des trois d'Île-de-France, arrive en 2e ligne face au Covid-19. En tant normal, quelle est sa finalité ?

Gérald Choukroun : Il s'agit d'un service un peu particulier. Sa priorité est le sevrage de la respiration artificielle qui, dans l'immense majorité des cas, s'effectue normalement en réanimation. Mais pour une petite proportion de patients, ce n'est pas le cas. En général, ils ont séjourné en réanimation pour quelque chose d'assez grave et il est très difficile de parvenir à les débrancher du respirateur 24 h/24. Ce qui est beaucoup lié à leur pathologie, à sa gravité initiale. Souvent les malades sont restés longtemps dans le coma artificiel : d'ordinaire en moyenne de 30 à 35 jours chez ceux que nous accueillons. Ils présentent une neuromyopathie de réanimation. Quand nous les réveillons, ils ont perdu énormément de force musculaire et sont quasiment paralysés. Très visible au niveau des muscles des bras et des jambes, cela touche également ceux de la respiration, en particulier le diaphragme. Il y a donc tout un processus de récupération de la force musculaire sur lequel précisément nous travaillons à Forcilles. Assez lent, il est en général pratiqué sur ces patients une trachéotomie juste avant leur transfert, ce qui leur évite de rester intubé. De notre côté, nous associons beaucoup de techniques respiratoires pour réentraîner les muscles à l'effort avec beaucoup de kinésithérapie des membres pour récupérer une fonctionnalité. Au contraire de la réanimation, où l'on s'occupe principalement de sevrer les patients de la respiration artificielle pour les faire sortir en SSR afin qu'ils retrouvent une autonomie, nous essayons de tout faire en même temps (lire notre article).
Les patients ont pour beaucoup présenté de grosses difficultés respiratoires, des ventilations sous machines assez longues, des comas artificiels assez longs. Pas mal d'entre eux, au moment de leur réveil, ont même dû être réendormis.

H. : Avec le coronavirus, comment vous êtes-vous réorganisés pour faire face à l'afflux de patients ?

G. C. : D'habitude, le SRPR compte 12 lits, tout comme d'ailleurs les deux autres d'Île-de-France présents au centre hospitalier de Bligny à Briis-sous-Forges (Essonne) et à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Ceci pour un nombre total de lits en réanimation proche des 1 200 à l'échelon régional. Avec la crise actuelle, nous sommes montés jusqu'à 2 800 patients en réanimation uniquement pour du Covid-19. Du jamais vu en même temps et, qui plus est, avec la même maladie. Or ces patients ont pour beaucoup présenté de grosses difficultés respiratoires, des ventilations sous machines assez longues, des comas artificiels assez longs. Pas mal d'entre eux, au moment de leur réveil, ont même dû être réendormis, ce qui génère des séjours en moyenne relativement longs en réanimation. Il y a donc en retour une demande très forte pour le SRPR. De fait, nous nous sommes un peu adaptés car leur durée passée en réanimation reste, quoi qu'il en soit, un peu plus courte que d'ordinaire. Le problème, c'est qu'il y a une telle saturation des lits que toute solution qui permet de faire sortir des patients en libère pour les suivants. Même s'il y en a moins chaque jour, il y en a toujours en ce moment qui rentrent en réanimation. Et puis nous avons également des patients non Covid-19, pour l'essentiel arrivés avant la vague qui a touché l'Île-de-France.

H. : Concrètement, l'impact est donc capacitaire mais aussi sur le matériel respiratoire...

G. C. : Oui. En tant normal, nos durées d'hospitalisation avoisinent un mois. Je pense que nous allons faire quelque chose d'équivalent avec le Covid-19. Nous avons d'ores et déjà augmenté la capacité du service de 6 lits et d'ici la fin de la semaine, cette hausse sera de 12 lits minimum voire peut-être 13. La situation nous a effectivement obligé à acheter du matériel en urgence, des moniteurs. Nous avons pu bénéficier d'une livraison de respirateurs par le ministère des Solidarités et de la Santé. Par contre sur les médicaments, nous ne sommes pas embêtés. Ceux qui posent problème sont plus pour de la sédation. Or nos patients ne le sont plus, ils sont réveillés. Nous utilisons donc ces produits de manière plus parcimonieuse. Par ailleurs, nous avons également une unité de soins intensifs respiratoires (Usir), qui est un peu une réanimation de pneumologie. Nous l'utilisons comme une extension du SRPR. Elle compte 8 lits exclusifs Covid-19. Sur le SRPR, nous avons précisément 8 lits fléchés et isolés Covid-19, 12 lits mélangés pour des patients guéris et plus contagieux, et enfin 6 lits réservés non Covid-19. L'objectif est de se stabiliser avec 20 lits Covid-19 et 12 non Covid-19. Cette augmentation capacitaire concerne également les deux autres SRPR franciliens. Enfin, certains hôpitaux ont ouvert des unités un peu équivalentes pour le sevrage respiratoire en vue de libérer des lits aigus de réanimation. En somme, des lits de réanimation intermédiaires.
Nous voyons les mêmes choses que d'habitude mais en nettement plus intense. C'est sans commune mesure et très impressionnant : les patients sont vraiment épuisés et plus stressés. Psychologiquement, ils sont aussi très fragilisés avec des gens qui pleurent, qui sont très déprimés.

H. : Et concernant vos effectifs ?

G. C. : Certaines activités de l'hôpital ont diminué. Tout le programmé est en stand-by, ce qui a libéré quelques infirmiers. Nous les avons positionnés sur le SRPR ou l'Usir après une formation express. Pour autant, nous ne laissons jamais seul un infirmier inexpérimenté, il est toujours en binôme avec d'autres soignants expérimentés. Nous avons également fait appel à des vacataires qui ont l'habitude de venir ou des infirmiers qui ont travaillé auparavant chez nous et ont gardé de l'expérience. Mais c'est sûr : ce n'est pas facile, c'est tendu sur les effectifs soignants.

H. : De votre premier ressenti, qu'est-ce qui ressort de cette prise en charge du Covid-19 ?

G. C. : D'un point de vue médical, ce n'est pas très différent si ce n'est quelques spécificités. En revanche, la protection dans le secteur contagieux est extrêmement lourde. L'habillage avant d'entrer en chambre est fastidieux. S'agissant du matériel de protection, comme partout en tension, nous devons faire très attention à notre consommation. Côté patients, nous voyons les mêmes choses que d'habitude mais en nettement plus intense. Il y a une fatigue très importante. C'est certain, il est usant de passer un mois en réanimation. Toutefois, c'est sans commune mesure et très impressionnant : ils sont vraiment épuisés et plus stressés. Psychologiquement, ils sont aussi très fragilisés avec des personnes qui pleurent, qui sont très déprimées. Il est difficile de comprendre pourquoi. Cela tient-il à la maladie ? Est-ce lié au stress ambiant dans les unités de réanimation, avec une surcharge de travail importante et beaucoup de tension absorbée en partie par les professionnels et qu'ils restituent ensuite avec le réveil ? Et puis en temps normal, les familles viennent quand elles veulent. Là, face au Covid-19, ces visites sont interdites. Nous effectuons quand même quelques aménagements lorsque le patient est en souffrance psychologique. Nous organisons alors des visites une fois par semaine. Nous les planifions et fixons le rendez-vous un jour donné et à une heure précise pour éviter qu'il n'y ait plusieurs personnes en même temps."

Propos recueillis par Thomas Quéguiner

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