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Le stress post-traumatique promet de frapper les soignants mais peu en parlent encore

Face au Covid-19, les retours de Chine le confirment : le trouble de stress post-traumatique touche de plein fouet les personnels de santé. En France, les psychiatres constatent toutefois une sous-utilisation des hotlines. Trop nombreuses et pas assez coordonnées, les soignants s'y perdent. Leurs appels risquent de se faire sur le tard, à différé.
En Chine, 71,5% des soignants présenteraient des symptômes de détresse post-traumatique, 35% à un niveau maladif voire même 42% pour ceux en première ligne face au coronavirus.
En Chine, 71,5% des soignants présenteraient des symptômes de détresse post-traumatique, 35% à un niveau maladif voire même 42% pour ceux en première ligne face au coronavirus.

La donnée brute interpelle. Selon une étude chinoise parue le 23 mars dans le Journal of the American Medical Association (ou Jama) et menée entre le 29 janvier et le 3 février sur 1 257 soignants, ils sont dès cet instant 71,5% à afficher des symptômes de détresse post-traumatique. Sur des professionnels de santé au front face au coronavirus, ils "embolisent tout", commente le Dr Nathalie Prieto, psychiatre référente nationale des cellules d'urgence médico-psychologique (Cump) qui opère elle-même aux Hospices civils de Lyon (HCL, Rhône). Elle est intervenue ce 7 avril à l'occasion d'un premier retour d'expérience proposé par la Société française de médecine d'urgence (SFMU) et Samu-Urgences de France (SUDF) précisément sur cette question du soutien psychologique aux soignants. Côté symptômes, les soignants chinois font également état pour 50,4% de dépression, 44,6% d'anxiété et 34% d'insomnies. Ces éléments deviennent même pathologiques et donc maladifs s'agissant des troubles de stress post-traumatique, chez 35% des personnels voire 42% s'ils sont en première ligne face au Covid-19. Concernant, la dépression, l'anxiété et l'insomnie, les taux ici relatés sont respectivement à 14,8%, 12,3% et 7,8%. Certes, ces éléments sont "grossièrement" évalués, reconnaît la psychiatre, mais ils éclairent sur ce qu'il risque d'advenir en France.

Les "maraudes" plus efficaces

Pour l'heure en tout cas, force est de constater que les hotlines mises en place en France
 (lire notre dossier et notre article) restent "très sous-utilisées" par les professionnels de santé. Ce constat, dressé par Nathalie Prieto, est également confirmé par ses collègues des CHU de Lille (Nord) et de Strasbourg (Bas-Rhin), le Drs Frédérique Warembourg et Pierre Vidailhet. Il faut dire que la multiplicité des dispositifs nationaux et régionaux et leur absence de coordination brouillent le message. "Les gens s'y perdent", constate la psychiatre lilloise. De fait, sur ces deux derniers terrains hospitaliers, ce sont les "maraudes" dans les services en intra-CHU qui reçoivent le plus d'écho. Ce recours aux équipes mobiles permet d'être "proactif" et ainsi "repérer ceux qui ont besoin de vider un peu leur sac", ajoute l'intéressée. À Strasbourg, son homologue évoque également la mise en place de salles de repos ou encore d'ateliers de prise en charge psychocorporelle (yoga, mindfulness...). Avec cependant un frein non négligeable : le risque de contamination. Si bien qu'au CH de Pontoise (Val-d'Oise) par exemple, l'unité de gestion du risque infectieux se montre "peu favorable" à ces maraudes et autres salles de repos pour préserver la "distanciation sociale au sein de l'hôpital", glisse le Dr Agnès Richard-Hibon, qui pilote le Samu tout en assurant la présidence de la SFMU.

L'association SPS recense autant d'appels en 10 jours qu'en 2019

Dans un communiqué, l'association Soins aux professionnels en santé (SPS) a dressé le 6 avril un premier bilan de son dispositif de soutien aux professionnels de santé, laissant entendre qu'en dix jours (du 23 mars au 30 avril) 1 200 appels ont été passés (soit l'équivalent du nombre total d'appels de l'année 2019)". La durée moyenne d'un coup de fil est de 18 minutes et 25% ont lieu la nuit. Autre enseignement : plus de la moitié des appelants sont infirmiers, aides-soignants ou médecins, plus d'un quart directeurs, cadres de santé ou présidents de commission médicale d'établissement. Enfin, les appels proviennent avant tout d'Île-de-France (30%), du Grand-Est et d'Auvergne-Rhône-Alpes (12%).

Un "héros qui ne craque pas"

Bien que sous-employées, les hotlines livrent pourtant de premiers enseignements. À écouter Nathalie Prieto, les témoignages font état : de stress et d'épuisement par surcharge ; de la crainte de contaminer enfants et proches ; d'anxiété, de peu de dépression pour le moment mais d'addiction et déjà de quelques troubles de stress post-traumatique ; de décompensation d'autres troubles ; et d'aggravation des difficultés au travail préexistantes. Outre l'omniprésence de la mort, la crise a en effet nécessité de "complètement chambouler les organisations", souligne pour sa part le Dr Mathieu Oberlin aux urgences de Strasbourg. Or face à cette conduite du changement, l'"absence de résistance" des soignants ne signifie pas sur eux une "absence d'impact psychologique" ni leur "adhésion totale". De plus, certains professionnels de santé se retrouvent "formés à la va-vite" voire souffrent d'un "manque d'appartenance" à devoir travailler dans des équipes qui parfois ne se connaissent pas, ajoute la psychiatre lyonnaise. S'ajoutent à cela la "peur de mal faire" mais aussi la "culpabilité à ne pas agir", à "ne pas être en première ligne". C'est entre autres valable chez les cadres et les personnels administratifs, "qui soutiennent ceux qui soutiennent", ou encore dans les régions moins touchées par le coronavirus ou dans des spécialités médicales aujourd'hui plus en retrait. La problématique du "héros applaudi à 20 heures" et "qui ne craque pas" complique également les choses.

"Ne soyez pas trop pudiques"

De fait, les psychiatres ne s'en cachent pas : le sous-recours actuel aux dispositifs de soutien par des soignants, sans doute trop épuisés pour les solliciter, laisse présager d'une utilisation "en différé". Certes, "c'est compliqué car la population soignante ne demande pas facilement de l'aide psychologique", reconnaît Frédérique Warembourg. Pour autant, le message qu'elle et ses collègues entendent bel et bien faire passer, c'est : "Servez-vous en maintenant, n'attendez-pas !" Et "ne soyez pas trop pudiques avec ces hotlines, abonde en guise d'autre conseil Nathalie Prieto, Les intervenants ne sont pas là pour faire des psychothérapies malgré vous. C'est plutôt du soutien. Ça ne veut pas dire que vous êtes malades mais parfois de vider son sac ou d'avoir quelques conseils amenés de l'extérieur même si vous les connaissez, ça peut faire beaucoup de bien."

Thomas Quéguiner

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